Professeur de l’enseignement supérieur, Vice-Président du CS de l’ACALAN, Ecrivain, Mohamed Lakhdar Maougal, intellectuel engagé qui n’est plus à présenter revient sur l’actualité politique de l’Algérie qui a suscité un intérêt particulier à travers le monde.
Entretien réalisé par Amar CHEKAR
Info d’Alger : Après plus de 3 mois de marches et de protestations à travers tous les pays. Travailleurs, Chômeurs, étudiants, avocats, magistrats, médecins, enseignants, disons tous les statuts, toutes catégories d’âges pour revendiquer le changement du régime qui a atteint ses limites. Quelles lectures faites-vous ?
Mohamed Lakhdar Maougal : Quatorze vendredis de marches revendicatives. Quatorze vendredis de mobilisation populaire. L’observation attentive fait ressortir que le mouvement qui a démarré comme par le classique «miracle» d’une main invisible a pris dès le départ un caractère de mouvement de masse à l’échelle nationale. Le mouvement passant de la timidité à la prudence (22 février 2019 et 8 mars) a commencé dès lors à se déployer de manière de plus en plus résolue. A partir du vendredi 8 mars les universitaires étudiants et enseignants plus téméraires, peut-être plus engagés, ont commencé à s’organiser en comités universitaires en prenant l’initiative d’organiser des marches supplémentaires chaque mardi. La précipitation démagogique et calculée du ministre du MESRES pressé de se distinguer ferme les universités en avançant les congés de printemps à partir du dimanche 8 mars jusqu’au 7 avril, pensant briser le mouvement en vidant la contestation de sa sève de disponibilité. Cette réaction stupide a poussé le clan contesté à engager un rapport de force avec les contestataires en procédant à des arrestations et à des intimidations qui mobilisèrent les avocats. Ces derniers finirent pas rejoindre le mouvement ayant senti probablement que le clan contesté était en plus de plus en plus divisé et avait entamé une course contre la montre pour confirmer le 5eme mandat, mobiliser les forces adverses et constituer des groupes de pression. La fracture de ce clan laissait apparaître au grand jour un semblant de positionnement idéologico-politique qui prenait incidemment une coloration régionaliste: la Kabylie servile de l’officialité ( MPA-RND) contre l’oranie occidentale qui a profité du captage du pouvoir par les résidus du clan d’Oujda réinvesti par leurs clientèles opportunistes (FLN –TAJ). L’arrogance partagée par les deux leaders des deux groupes – Ould Abbes vs Ouyahia – a vite fait d’envenimer les choses au point de provoquer un clash qui fait l’effet d‘un cataclysme organique dans les deux formations dominantes des deux groupes (FLN contre RND) conduisant les maîtres d’œuvre à se délester des deux ténors des groupes en procédant d’abord par l’élimination de Ould Abbès suivie peu après par celle de Ouyahia. Désamorcés les deux groupes vont s’affronter pour s’accaparer le leadership de la campagne pour le 5eme mandat qui avait accumulé plusieurs milliards dinars pour les opérations traditionnelles de reconduction du clan et de son régime. Il n’est pas exact voire même injuste d’accabler l’université et les étudiants ainsi que les avocats d’avoir failli à leurs missions. Quelques Hurluberlus de l’université d’Alger 3, ceux qui avaient été mithridatisés à la servitude ont tenté alors de faire entendre le son de cloche de leur redéploiement avec des argumentaires médiocres et ridicules, en total décalage par rapport au réel qui se construisait d’un mouvement contestataire ascendant. Fort de cet élan, l’université qui ne partira pas en vacances forçant les œuvres sociales, malgré leur fermeture ordonnée par le ministre, va être renforcée par les barreaux d’avocats d’abord, par les magistratures aussi bien assisses que debout.
On reproche souvent l’absence de la classe intellectuelle, l’universitaire dans ce mouvement historique et mémorable, qu’en pensez-vous en tant que sociologue ?
Il me semble encore une fois injuste de porter ce jugement tendancieux qui témoigne d’un profond anti-intellectualisme hérité de la période ancienne et renforcé par le régime de Bouteflika qui a eu sa première altercation publique avec un enseignant de l’université-Senia d’Oran pendant sa première tournée de conquête du pays. Ce reproche, s’il a existé ce dont je doute, sauf dans quelques milieux haineux – traduit un malaise profond et un dépit chez des politicards revanchards qui se sont démasqués et qui entendent par cette surenchère se donner bonne conscience. Contrairement à ce qui semble admis, les universitaires habituellement mobilisés pour les campagnes électorales (les chiens de garde comme les appelait Paul Nizan) ont été désappointés par le changement brutal de perspective qui leur coupait l’herbe sous les pieds en faussant tous leurs calculs de prétendre à quelques promotions une fois le candidat momie replacé sur son sarcophage-roulant. Le 22 février a secoué la léthargie qui a provoqué ensuite un processus de formation élitaire toujours en voie de cristallisation inachevée. Le 22 février n’est pas le résultat d’un travail et d’une mobilisation élitaires, au contraire il est la date de naissance d’un nouveau mouvement élitaire. Ce qu’il en sera est étroitement lié au devenir du mouvement lui-même. L’avenir nous le dira.
Le mouvement HIRAK fait objet d’étude et d’analyse sociologiques dans plusieurs universités du monde. Qu’en est-il en Algérie ?
Je n’ai pas connaissance de ces études ni de ces analyses à distance. Certes, il y a des journalistes avertis qui s’intéressent à notre pays depuis longtemps. Ils reconnaissent eux-mêmes et honnêtement qu’ils ont été surpris parce qu’ils avaient pensé que le système ou le régime algérien mis en place par le clan bouteflikiste était solide et bien soutenu de l’extérieur par des puissances intéressées et fort bien servies jusque-là. L’arrogance du clan avait fait croire qu’il allait prolonger le pillage et la rapine pour encore un demi-siècle tant la corruption avait gangréné la société affaiblie et meurtrie par un régime à la solde du néocolonialisme et des prédateurs orientaux. Quelques textes ont été publiés dans des journaux algériens. Ceux de Addi Lhaouari qui avance beaucoup d’élucubrations dont il a toujours eu le secret. Il continue à marcher à côté de ses pompes à quatre mille kilomètres de la Place de la Libération (ex Grande Poste) suscitant quelques réactions locales d’universitaires fatigués et décatis qui tentent de lui donner le ‘‘LA’’ (ou plutôt do-ré-mi-fa-sol-la–si-dodo dont certains en se réveillant quelques fois se précipitent à reproposer leurs divagations à d’autres journaux en prétextant avoir été encadrés et./ou mal compris lors des premiers essais démentis par la réalité si déconcertante)‘’Vade retro satanas’’, comme disait Mouloud Mammeri dans la cité du Soleil (1988).
Qu’en pensez-vous de la nature est qualité des slogans ?
Je ne puis rien publier pour le moment. Je suis en train d’étudier les affiches et les banderoles avec mes étudiants de sémiologie à l’ENSJSI. C’est non seulement intéressant mais très édifiant et passionnant.
Alger le 25 mai ,2019. Maougal Mohamed LakhdarProfesseur de l’enseignement supérieur. Vice-Président du CS de l’ACALAN. Ecrivain
Par Amar CHEKAR