Entre volontarisme étatique et réalité du terrain, l’écosystème entrepreneurial algérien bute sur des défis structurels. La rigidité réglementaire et la frilosité des investisseurs privés entravent son essor.
Porté par une jeunesse dynamique et une volonté politique de diversification économique remarquable, le paysage des start-ups en Algérie est en pleine effervescence. Mais derrière les annonces gouvernementales et la multiplication des incubateurs, se cache une réalité plus contrastée : un écosystème encore fragile, trop administré et confronté à des défis structurels majeurs.
L’Algérie veut croire à sa révolution start-up. Avec la création d’un ministère dédié en 2020, le lancement d’un fonds spécifique et des programmes comme « Un diplôme, une start-up », les pouvoirs publics affichent une ambition claire : faire de l’innovation un nouveau moteur de croissance pour une économie historiquement dépendante des hydrocarbures. Si plus de 9 000 jeunes pousses ont vu le jour, portées par une dynamique universitaire croissante, le secteur est loin d’avoir atteint sa vitesse de croisière.
Un paysage en construction, mais encore fragmenté
Les efforts consentis ces dernières années sont indéniables. L’intégration de l’entrepreneuriat à l’université, initiée dès 2007, a commencé à diffuser une culture de l’innovation. Les incubateurs, tant publics que privés, se sont multipliés. Pourtant, cette dynamique reste fragile. Les initiatives sont souvent dispersées, peu coordonnées, et l’écosystème dans son ensemble pâtit d’un manque criant de synergie entre la multiplicité d’acteurs (État, universités, associations, incubateurs).
Définition restrictive et cadre rigide : un carcan pour l’innovation
Un frein majeur réside dans le cadre réglementaire lui-même. Si la définition algérienne de la start-up reprend les critères académiques centraux (innovation, scalabilité, croissance rapide, elle les rigidifie en imposant des critères administratifs stricts, âge, chiffre d’affaires, effectifs. Cette approche ne reflète pas la réalité dynamique et incertaine des start-ups, où c’est le marché qui valide in fine l’innovation. Cette rigidité bureaucratique crée un carcan inadapté à la flexibilité requise par les jeunes pousses.
Financement et implication privée : le maillon faible :
Le principal goulet d’étranglement identifié par tous les observateurs reste le financement. « Le système national peine à fournir les ressources financières nécessaires à un véritable passage à l’échelle ». Les banques traditionnelles, frileuses, privilégient une logique de prudence peu compatible avec le risque inhérent aux start-ups.
Si des initiatives publiques comme le Fonds algérien des start-ups (ASF) constituent des avancées, elles restent incomplètes face à la diversité des besoins. Surtout, l’écosystème d’investissement privé (business angels, capital-risque) est encore balbutiant, freiné par un manque de structuration et un cadre juridique peu incitatif. Le secteur industriel, acteur clé qui pourrait jouer un rôle dans le financement et l’accompagnement, reste notablement absent. Ce manque crucial d’implication privée fait peser le risque d’un écosystème « administré », dépendant de la manne publique, plutôt qu’organique et autoporté.
Quelle stratégie pour un avenir compétitif ?
Pour transformer ce potentiel en levier de croissance durable, nous plaidons pour une approche plus coordonnée et ambitieuse. Les pistes d’amélioration sont connues :
Réformer le cadre réglementaire pour le rendre plus flexible et aligné sur les réalités des entrepreneurs.
Diversifier les financements en stimulant l’émergence de fonds d’amorçage, de capital-risque et en créant des incitations fiscales attractives pour le secteur privé.
Renforcer les synergies entre l’université, l’industrie et les start-ups pour favoriser le transfert technologique.
Création d’une banque spécialisée dans le financement des startups et des micros entreprises.
Ouvrir résolument l’écosystème à l’international, condition sine qua non pour une croissance ambitieuse.
Conclusion : un potentiel à concrétiser
L’écosystème des start-ups en Algérie est à la croisée des chemins. Les avancées sont réelles, mais pour passer d’un écosystème « administré » à un écosystème compétitif et dynamique, un changement de braquet est nécessaire. La clé du succès réside dans sa capacité à libérer les énergies privées, à simplifier son cadre et à mieux connecter l’innovation nationale aux réseaux internationaux. L’avenir économique du pays dépendra en grande partie de sa capacité à transformer ses jeunes pousses en véritables champions.
Par Pr BOUKRIF Moussa
Directeur du laboratoire de Recherche en Management et Techniques Quantitatives RMTQ
Responsable de la filière sciences de gestion, département sciences de gestion, faculté FSCSG, Université Abderrahmane MIRA Bejaia.