Le Projet de Loi de Finances 2026, adopté en Conseil des ministres début octobre, s’inscrit dans un contexte international tendu, marqué par la persistance des conflits géopolitiques, la volatilité des prix de l’énergie et les incertitudes du commerce mondial.
Le texte budgétaire traduit la volonté du gouvernement algérien de maintenir la dynamique de croissance et de préserver la stabilité sociale, tout en affrontant des équilibres budgétaires fragiles.
Des ambitions fortes dans un contexte contraint
Le PLF 2026 table sur :
8 009 milliards DA de recettes budgétaires,
17 636 milliards DA de dépenses totales,
Un déficit global du Trésor estimé à 5 186,6 milliards DA, soit 12,4 % du PIB.
Les dépenses augmentent d’environ 5 % par rapport à 2025, tirées par les investissements publics 4 073,8 milliards DA, soit près du quart du budget.
Ce choix témoigne d’une politique expansionniste visant à soutenir la demande intérieure, l’emploi et les grands chantiers structurants : infrastructures, hydraulique, logement, agriculture et services publics.
Le gouvernement prévoit une croissance économique de 4,1 % en 2026, puis 4,4 % et 4,5 % sur 2027–2028.
Cette trajectoire repose sur une hypothèse de prix de pétrole prudente — 60 dollars le baril fiscal et 70 dollars sur le marché, mais aussi sur une baisse progressive des exportations d’hydrocarbures –2 % en 2026.
Continuité d’un modèle budgétaire social et centralisé
Le budget 2026 confirme la centralité du rôle de l’État dans le financement de l’économie et la redistribution des revenus.
La masse salariale publique atteindra 5 926 milliards DA, soit 33,6 % du budget, en hausse de 1,4 %.
Les dépenses de transferts demeurent importantes :
2 812 milliards DA pour les établissements publics dont 1 768 milliards aux EPA,
2 284 milliards DA pour les ménages 420 milliards pour l’allocation chômage, 424 milliards pour les retraites, et environ 657 milliards DA pour les subventions aux produits de base céréales, lait, énergie, huile, sucre, café.
Ces choix traduisent la volonté politique de préserver le pouvoir d’achat et de maintenir la paix sociale dans un contexte de tensions inflationnistes.
Ils confirment cependant la poids structurel élevé des dépenses rigides dans le budget de l’État, limitant les marges de manœuvre pour les politiques productives.
Fragilités structurelles du cadre budgétaire
Malgré une dynamique de croissance attendue, le PLF 2026 révèle trois vulnérabilités majeures :
Une dépendance persistante à la rente
Les recettes hors hydrocarbures demeurent modestes et progressent lentement, malgré les dispositifs de régularisation fiscale et d’encouragement à la R&D.
La rente pétrolière reste la principale source de financement de l’État, rendant les équilibres budgétaires sensibles à la moindre variation des cours.
Un déficit structurel difficilement soutenable
Avec un déficit de plus de 12,4 % du PIB, la soutenabilité budgétaire devient une préoccupation centrale.
Le financement repose sur des instruments internes :
Avances de la Banque d’Algérie plafond relevé à 20 %,
Émissions de Sukuk souverains,
Et prélèvements sur les entreprises publiques.
Ces leviers assurent la continuité du financement, mais accroissent le risque d’inflation et de tension monétaire à moyen terme.
Une gouvernance de la dépense encore perfectible
La forte centralisation des décisions budgétaires et d’investissement limite l’efficacité locale.
Les collectivités territoriales restent peu impliquées dans la planification et le suivi des projets, ce qui fragilise l’impact réel sur la croissance et l’emploi.
Quels défis pour 2026 et au-delà ?
Le PLF 2026 repose sur un équilibre délicat entre soutien à la croissance et risque de surchauffe budgétaire. Plusieurs défis devront être anticipés :
La maîtrise du déficit : réduire les dépenses non productives et renforcer le rendement fiscal sans compromettre la solidarité nationale.
La soutenabilité du financement : limiter le recours aux avances monétaires pour préserver la stabilité du dinar et éviter une inflation durable.
La diversification économique : transformer les dépenses publiques en leviers productifs, notamment dans l’industrie, l’agriculture modernisée et les services innovants.
La gouvernance budgétaire : renforcer la transparence, le contrôle parlementaire et l’évaluation des politiques publiques.
Pour une trajectoire budgétaire soutenable et inclusive
Une politique budgétaire responsable ne signifie pas austérité, mais sélectivité et efficacité.
L’Algérie dispose de marges pour concilier stabilité macroéconomique et justice sociale en adoptant une approche à deux niveaux :
Court terme :
Rationaliser les subventions universelles et renforcer le ciblage des aides directes.
Conditionner les transferts aux entreprises publiques à des objectifs mesurables.
Réorienter les investissements vers les projets à fort rendement économique.
Moyen terme :
Élaborer une réforme fiscale équitable, orientée vers la production et l’investissement.
Donner plus de compétences financières aux collectivités locales pour stimuler les bassins économiques régionaux.
Mettre en place un cadre de transparence budgétaire pour restaurer la confiance et améliorer l’efficacité de la dépense publique.
Conclusion
Le PLF 2026 reflète un choix de continuité : maintenir l’effort social et investir dans la relance, au prix d’un déficit élevé.
Il s’agit d’un budget de transition, entre stabilité politique et nécessité de réforme économique.
La réussite de cette trajectoire dépendra de la capacité de l’État à transformer la dépense publique en moteur productif, à restaurer la discipline budgétaire et à renforcer la gouvernance économique.
La consolidation budgétaire ne doit pas se faire au détriment de la cohésion sociale, mais au service d’une croissance durable, diversifiée et inclusive.
Par Professeur Moussa BOUKRIF
Directeur du laboratoire de Recherche en Management et Techniques Quantitatives RMTQ
Responsable de la filière sciences de gestion, département sciences de gestion, faculté FSCSG, Université Abderrahmane MIRA Bejaia.

